Dans mon dernier mail je vous ai évoqué la grande figure d’Alain Riou, disparu il y a dix ans cette année.
Durant ces années difficiles de 1993 à 1998 et ensuite, pour les débuts de l’aventure du renouveau du Carnaval de Paris, je voudrais rappeler les noms des quelques très rares qui ont continué à croire à mon projet :
Dans quelques jours arrive le premier janvier 2015.
Je vous souhaite à tous une très belle année nouvelle et un très bon Carnaval !
Comment relancer la fraternité universitaire universelle
Il y a des siècles, un étudiant, un escholier comme on disait alors dans le royaume de France, pouvait connaître tous les intellectuels des contrées alentour et voyager pour aller à leur rencontre.
Aujourd’hui, les étudiants et enseignants se comptent par dizaines de millions, nous avons l’avion, le train, la voiture, le téléphone et Internet. Mais, paradoxalement, cette fraternité a disparu.
Pourtant, de 1898 à 1914, alors qu’il y avait déjà un demi-million d’étudiants de par le monde, un mouvement festif et fraternel universel des étudiants, ni politique, ni religieux, ni humanitaire, a existé et prospéré sur les cinq continents regroupant des dizaines de milliers de membres.
Ce mouvement s’appelait la Corda Fratres (https://fr.wikipedia.org/
Ce qu’il a fait a été oublié. Il existe aujourd’hui en tout trois spécialistes de son histoire. Un enseignant et historien italien Aldo Alessandro Mola, un collectionneur et historien italien Marco Albera. Je pense être le troisième. Je leur ai dit qu’il faudrait faire renaître l’œuvre d’Efisio Giglio-Tos. Ils trouvent cette idée juste.
La renaissance de la Corda Fratres, comment procéder ?
Je suis Français et vis en France. J’aime la France et les Français. Mais venant de Russie ma famille a son regard propre sur le pays qui l’a généreusement accueilli. Et y discerne certaines faiblesses ou défauts comme tous les pays en ont. En particulier, je vois que dans ma spécialité : la fête, le Carnaval, la festivité estudiantine, je ne trouverais ni soutiens, ni encouragements du côté officiel. C’est pourquoi, pour faire revivre une grande cause, je suis amené à m’adresser à des personnes extérieures à la France en espérant qu’un jour celle-ci me rejoindra.
De quoi s’agit-il ? De la goguette et la Corda Fratres.
Au cours de mes recherches, au bout de dix-huit années j’ai identifié la base traditionnelle de la fête populaire en France, Belgique et sans doute ailleurs dans d’autres pays : il s’agit de la goguette.
La goguette est une chose très simple : un groupe de moins de vingt personnes se réunissant ponctuellement pour chanter des chansons, passer un bon moment ensemble sans engager de gros frais, avoir besoin de local, logistique, risquer les combats de chefs et le parasitage par des profiteurs.
Ce groupe doit impérativement comporter moins de vingt membres. Sinon, à partir de vingt les problèmes arrivent. Il se casse en deux. Et en plus par la suite s’il augmente encore de volume, les dissensions apparaissent, les ambitions de commandement des autres se révèlent, la politique s’invite, les parasites accourent, etc. Et tout fini par disparaître.
La preuve par Dunkerque
C’est ce qui s’est passé en France. Il y avait jadis des milliers et des milliers, certainement des dizaines de milliers de goguettes. Elles portaient ce nom ou pas. Jusqu’en 1835, l’interdiction d’atteindre vingt membres et au delà les a maintenu saines et vivantes. A partir de 1835 et du procès de la Goguette de l’Enfer, l’autorisation d’atteindre et dépasser vingt membres est arrivée.
Alors, les goguettes ont grandi, grandi… et à présent il n’y en a pratiquement plus nulle part et la fête populaire a disparu partout. Sauf à Dunkerque et dans les villes alentours où le Carnaval est énorme et où la fête populaire est restée vivante. Pourquoi ? Parce que à Dunkerque le Carnaval est à l’origine organisé par les marins allant pêcher la morue au large de l’Islande et de Terre Neuve. Ce qu’ils font dans des petits bateaux nommés lougres. Les équipages sont de douze hommes… et les goguettes, qui portent aujourd’hui à Dunkerque et dans les villes alentours le nom de « sociétés philanthropiques et carnavalesques » ont en moyenne : douze membres !
C’est resté dans la culture locale dunkerquoise et ça a protégé le Carnaval. Faites juste 66 kilomètres à partir de Dunkerque, vous arrivez à Lille. Il y avait jadis là un très grand Carnaval. Aujourd’hui, il n’y a plus rien. A Paris, le Carnaval, jadis gigantesque, a disparu après 1952. J’ai eu beaucoup de mal pour le faire renaître en 1998. Nous étions 3500 dans le cortège 2014. On s’y amuse bien. C’est une vraie fête. Et c’est l’essentiel. Pour qu’il redevienne très grand, il faut que renaissent les goguettes. Je m’y emploie. C’est très difficile, car la tradition interrompue et les habitudes culturelles actuelles font que mon message pourtant simple a beaucoup de mal à passer.
L’acquit théorique de la redécouverte de la goguette est fondamental pour faire revivre ce grand mouvement dans les universités du monde où il a déjà prospéré jadis : la Corda Fratres, ce qui signifie en latin : les Cœurs Frères.
La Corda Fratres doit renaître par la goguette
Mes recherches se rejoignent. Demain, il faut proposer aux étudiants du monde de créer des goguettes. Puis, de les mettre en réseaux.
Quand j’ai proposé en 2006 de faire renaître la Corda Fratres, j’ai eu tout de suite des appels intéressés venant d’Espagne : de Cadix, Cordoba, Madrid, du Portugal : de Porto, du Chili : de Valparaiso, de Colombie : de Bogota. Et des contacts très positifs avec l’administration de l’université du Colorado à Boulder.
Mon idée était de faire quelque chose en liaison avec le Carnaval de Paris. Mais j’ignorais alors encore la base de la fête populaire française : la goguette.
Ce que je propose c’est aussi que les goguettes étudiantes se rassemblent dans des fêtes. En commençant par celles qui existent déjà, à Bruxelles, Berkeley et ailleurs…
Et aussi à Paris, où avec le Carnaval de Paris existe à présent à nouveau depuis 2009 le Carnaval des Femmes, Fête des Reines des Blanchisseuses de la Mi-Carême qui était jadis la grande fête des étudiants parisiens.
Discutons-en et faisons quelque chose !
Élargir la Corda Fratres
La Corda Fratres s’adressait aux étudiants et ex étudiants. On pourrait l’élargir à la jeunesse et au delà. Faire naître une sorte de festivité universelle… C’est un rêve. Mais il est peut-être réalisable.
Tous les hommes sont frères. Ce n’est pas une simple idée. C’est une réalité. A nous de la faire vivre.
Basile philosophe naïf, Paris le 18 décembre 2014