Bal de l’Opéra, 16 février 1830
Ce Bal célèbre fut créé par par une ordonnance du Régent en date du 31 décembre 1715, à raison de deux bals par semaine, ouvrant à minuit, durant la période du Carnaval, qui débutait le 11 novembre, jour de la Saint Martin, et courait jusqu’au Mardi Gras.
En 1830, ce bal avait lieu à la salle de l’Opéra de la rue Le Pelletier.
Fin XIXème siècle, on appelait encore ce bal le Grand Veglione de l’Opéra (Veglione : fête costumée de nuit, substantif augmentatif de veglia, signifiant veillée en italien).
Le bal donné hier dans la salle du grand opéra présentait l’un des plus beaux spectacles dont les habitans de Paris aient joui depuis long-temps. On sait quel vaste étendue présente le théâtre de l’Opéra lorsque la scène et le parterre, unis par un même plancher, ne forment plus qu’une seule salle.
Au grand lustre, avait été ajoutés quarante des grands lustres qui ont brillé au sacre, et vingt autres dans la partie de l’enceinte qui forme la scène. Une lumière éblouissante jaillissait de ces milliers de bougies, et répandaient sur la salle une atmosphère de feux. Des draperies en velours rouge, relevées par des torsades en or, reflétaient vivement l’éclat de ce jour artificiel, aussi brillant qu’un soleil d’été.
Deux ou trois mille femmes, les plus belles et les plus élégantes de Paris, remplissaient les banquettes, les premières loges jusqu’au quatrièmes. Des têtes charmantes, parées avec le go ût le plus exquis, et faciles à distinguer à un grand éloignement, arrêtaient les regards de tous les spectateurs.
Quand on entrait par un des escaliers qui descendaient du foyer dans la salle, et que plongeant dans la vaste étendue circulaire inondée de lumière, on apercevait à travers les cristaux, les draperies, cette multitude de têtes couvertes de fleurs, de plumes, de diamans, on éprouvait un saisissement singulier. Jamais féérie n’a été comparable à ce qu’était la réalité de cette fête magnifique. Les spectateurs se pressaient en foule pour la voir, montaient à tous les étages pour la juger de tous les points de vue. Du Paradis, le spectacle était extraordinaire : on plongeait sur une immensité de lumière et de mouvement.
La maison du roi, chargée de la décoration, avait tout prodigué pour produire ces beaux effets, et pour rendre les avenues dignes du reste. Des fleurs, des arbustes répandus à profusion bordaient tous les escaliers; des glaces placées dans tous les enfoncements multipliaient cette scène mouvante. Le foyer n’était pas moins bien décoré que les autres parties de l’édifice. Vers deux heures, on a commencé à se rassasier du spectacle que présentait la grande salle, et on s’est pressé dans le foyer pour y valser. Les valseurs formaient un cercle allongé, qui s’étendait d’un bout de la galerie à l’autre.
M. le duc de Chartres, qui se mêle aux fêtes de la capitale avec la vivacité de son âge a ouvert la valse avec une femme charmante. et bientôt une multitude de valseurs et valseuses ont suivi cet exemple. Le mouvement de la fête est alors devenu entraînant.
Nous avons vu les étrangers partager ce saisissement à la vue de notre France, si riche et si belle. Un sentiment vrai se joignait au plaisir causé par ce spectacle, c’était la certitude d’un bienfait considérable, car on savait que la recette était de plus de cent mille francs. Notre France est vive, mobile mais elle est bonne, compâtissante (*), elle fait le bien aussi volontiers qu’elle s’amuse.
Le National
Feuille Politique et Littéraire (Page 2)
Mercredi 17 février 1830
(*) ndwm : allusion au fait que l’argent va servir à des œuvres de charité.