Mondialiser la fête
14/10/2019

C’est ce qu’on fait jadis des dizaines de milliers d’étudiants au sein de la Corda Fratres. Cette organisation festive et fraternelle, ni politique, ni religieuse, ni commerciale, ni humanitaire, a prospéré sur les cinq continents de 1898 à 1914-1915. C’était la première fédération internationale des étudiants.

Injustement oubliée, sa très riche histoire pourrait inspirer la jeunesse d’aujourd’hui, notamment des grandes écoles et facultés, pour faire la fête demain.

Cette histoire était le sujet de la conférence que j’ai fait au café associatif parisien Le Moulin à Café le 10 octobre 2019.

J’espère avoir l’occasion de refaire cette conférence devant des étudiants. Et de faire traduire son texte en allemand, anglais et espagnol.

LA CORDA FRATRES, PREMIÈRE FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES ÉTUDIANTS, CONFÉRENCE DONNÉE PAR BASILE PACHKOFF

AU MOULIN À CAFÉ LE 10 OCTOBRE 2019

La Corda Fratres – Fédération internationale des étudiants, appelée aussi Corda Fratres – F.I.D.E. ou simplement Corda Fratres, est une organisation internationale d’étudiants, ni politique, ni religieuse, ni commerciale, ni humanitaire, festive et fraternelle fondée à Turin le 15 novembre 1898. Elle est la première – et seule à ce jour – société festive et carnavalesque universelle et la première association internationale des étudiants.

Elle est présente sur les cinq continents, compte des dizaines de milliers d’adhérents, et disparait dans les années 1920, à la suite de problèmes internes et de la persécution fasciste en Italie.

Son président-fondateur est Efisio Giglio-Tos, président de l’AUT, Association Universitaire Turinoise.

Corda Fratres signifie en latin « les Cœurs frères ».

La Corda Fratres – Fédération internationale des étudiants, créée en 1898, prospère jusqu’aux années 1914-1915, comptant jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’adhérents répartis sur les cinq continents. Ses quatre plus importantes sections sont la française, la hongroise, l’italienne et la roumaine. La langue officielle de l’association, choisie à l’initiative des Italiens, est le français.

Après la Grande Guerre de 14-18, la Fédération décline, victime de faiblesses internes et des conséquences de la dictature fasciste (la principale section de la Corda Fratres est sa section mère italienne).

Après la chute du fascisme, une tentative est faite en Italie pour faire renaître la section italienne de la Corda Fratres. Elle bute sur des problèmes politiques et s’achève sur un échec en 1948.

La Corda Fratres – Fédération internationale des étudiants n’a pas ensuite de successeur et est oubliée jusqu’en 1999, date de la parution du premier livre consacré à sa riche histoire.

La Corda Fratres a démontré effectivement, en dépit de ses faiblesses, que créer un mouvement mondial festif et fraternel, ni politique, ni religieux est une entreprise réalisable. À condition de souhaiter s’y investir, comme l’a fait jadis son fondateur Efisio Giglio-Tos.

Origines

À l’origine de la Corda Fratres se trouvent deux évènements. Le premier est bolonais. Il s’agit du Congrès National et International des Étudiants Universitaires, organisé sous l’égide du poète Giosuè Carducci : une grande fête internationale organisée en juin 1888 pour le huit centième anniversaire de l’Alma Mater Studiorum, l’université de Bologne, la plus ancienne d’Europe.

À cette occasion se rassemblent de nombreuses personnalités, au nombre desquelles le roi, la reine et le prince héritier d’Italie. Cet évènement international est relaté dans la presse, notamment française.

À cette fête se remarquent surtout les nombreux étudiants italiens ou venus d’autres pays. Ces jeunes se distinguent par leurs tenues originales et pittoresques propres au folklore estudiantin traditionnel et à leurs associations festives et fraternelles. Les Italiens portent la tenue de la Goliardia, les Espagnols celle des Tunas, les Allemands et Suisses la tenue avec une casquette, celle-ci de modèles variés, etc. La délégation française, mandatée tout à la fois par l’Association générale des étudiants de Paris et le Président de la République Sadi Carnot est venue habillée en bourgeois, comme les étudiants parisiens de cette époque.

Effarés de détonner et paraître misérable au milieu de cette foule bigarrée, les Français reçoivent des mains des Italiens une orsina, coiffe bolonaise créée pour l’occasion par l’Alma Mater. Cet acte les amène à réfléchir à adopter une coiffe distinctive française.

Et à leur retour dans la mère patrie, ils adoptent un béret en velours noir, qui devient rapidement la faluche. La faluche est propagée en France après leur retour de Bologne.

Curieusement, les journaux parisiens de ces années-là parlent souvent de l’Association générale des étudiants de Paris-AGEP, appelée familièrement l’« A » comme d’autres Associations générales d’étudiants, mais ne disent rien à propos de la faluche. Ils parlent de son béret comme d’un chapeau folklorique étudiant, jamais comme le signe d’appartenance à une organisation.

Le deuxième évènement à l’origine de la Corda Fratres est parisien. En 1889, un congrès universitaire se tient à Paris pour le centenaire de la Révolution française. À l’occasion de ce congrès, un étudiant italien publie une lettre dans le Réveil du Quartier Latin, où il lance le premier la proposition de créer une Fédération internationale des étudiants. Il est entendu.

Et le 10 août 1889 se tient à Paris une conférence à laquelle participent des étudiants de nombreuses universités européennes, en particulier belges, françaises et italiennes. La conférence s’achève par la décision de « constituer une association internationale de la jeunesse universitaire sous le nom de Fédération des étudiants ».

En 1891, est formulé à Gand le souhait qu’un comité international fasse naître une telle fédération « dans un but libéral et fraternel ».

Ce souhait est par la suite formulé à Caen en 1894.

La même année, Efisio Giglio-Tos président de l’Association universitaire turinoise commence à se passionner pour le projet de créer une fédération internationale. À Debrecen en 1895 est proposé qu’un congrès international donne vie à la Fédération et se tienne à Budapest dans le cadre de la célébration du millième anniversaire de la capitale hongroise en 1896. Ce congrès finalement n’a pas lieu.

L’année d’après, le 9 avril 1897, Efisio Giglio-Tos qui a réfléchi à la structure et aux statuts de la Fédération internationale demande à l’étudiant turinois Gino Masi d’intervenir à ce propos au quatrième congrès national des étudiants italiens qui se tient à Pise. Le congrès charge Efisio, qui est absent, de constituer en 1898 la Fédération internationale. La Corda Fratres va naître à l’occasion du cinquantième anniversaire du Statut albertin, premier texte constitutionnel italien, datant de 1848.

 Efisio Giglio-Tos envoie 50 000 invitations adressées aux universités du monde entier et fait coïncider la fondation de l’association avec l’Exposition Nationale Italienne de Turin, qui offre l’opportunité de disposer de locaux, réductions sur les prix des billets de chemins de fer et hébergements. Il cherche à récolter le soutien des rares étudiants italiens encore en vie ayant participé aux évènements de 1848. Entre autres le rejoint immédiatement Costantino Nigra ancien de 1848 et ambassadeur d’Italie à Vienne. Au nombre des étudiants anciens de 1848 qui soutiendront Efisio Giglio-Tos on trouve également le sénateur Bartolomeo Casalis, Vittorio Bersezio, le latiniste Battista Gandino, professeur à l’université de Bologne et le général Alessandro Reyneri. Des ministres, des parlementaires, des personnalités culturelles de premier plan telles Arrigo Boito et Giuseppe Verdi soutiennent Efisio Giglio-Tos, ainsi que la Ligue des femmes pour le désarmement international dont le siège est à Paris. Le roi d’Italie Umberto 1er accepte la présidence d’honneur du congrès de fondation de la Corda Fratres.

L’affiche programme du rassemblement étudiant appelé par Efisio Giglio-Tos est réalisée par Roberto Bonis. Elle porte comme titre, en italien : « Exposition Générale Italienne, Premier Congrès International des Étudiants ». Elle ignore donc de fait, peut-être volontairement, le rassemblement international de 1400 étudiants qui eut lieu à Liège 33 ans auparavant, du 29 octobre au 1er novembre 1865.

La Fédération internationale des étudiants, fraternité basée sur un idéal élevé, en dehors des logiques géopolitiques des empires, voit le jour le 15 novembre 1898. À cette occasion Efisio Giglio-Tos rassemble autour de lui à Turin trois mille étudiants du monde entier. Au nombre de ceux-ci les représentants de l’Association générale des étudiants de Paris.

La Fédération prend pour emblème l’effigie de Minerve qui a la science pour patrie et pour devise les mots Corda Fratres, les cœurs sont frères.

Les deux mots se retrouvaient fréquemment à la fin de nombre de discours universitaires, séparés par une virgule : Sursum corda, fratres ! (Haut les cœurs, frères !). Efisio Giglio Tos a choisi de supprimer la virgule.

Le 21 novembre 1898 à Messine, le poète Giovanni Pascoli rédige l’Hymne de la Corda Fratres. Le même jour, après Turin, le congrès des étudiants se retrouve à Rome, où la fédération est proclamée officiellement fondée le 24 novembre 1898, près de la colonne de Phocas, sur le forum romain.

Le premier conseil fédéral de présidence de la Fédération internationale des étudiants, présidé par le Dottore Professore Efisio Giglio-Tos, comprend les représentants de neuf pays européens : Angleterre, Belgique, Bulgarie, France, Hollande, Hongrie, Italie, Roumanie, Suisse et deux pays d’Amérique : l’Argentine et le Nicaragua. Le vice-président belge, Adolphe Foucart, pose fièrement sur la photo officielle, la faluche sur la tête.

La Fédération recevra le soutien du ministre italien de l’Instruction publique, du président de la République française Félix Faure, du ministre français de l’Instruction publique et des Beaux-Arts Georges Leygues et l’adhésion de Gabriele D’Annunzio, de l’éditeur et écrivain Angelo Fortunato Formiggini, de Guglielmo Marconi et du poète Giovanni Pascoli.

À l’époque, l’Italie ne compte qu’un peu plus de 20 000 étudiants en tout. Le succès de la Corda Fratres est très grand auprès d’eux : un tiers des étudiants italiens adhère à la Fédération.

Une fédération très masculine

Dans toutes les listes de responsables de la Fédération tout le long de son histoire on ne trouve que des hommes, mis à part une exception pour la section de Rome. Elle aura à un moment-donné pour secrétaire Emilia Santamaria, qui épousera par la suite le responsable de la section Angelo Fortunato Formiggini.

Développements

Le deuxième congrès de la Corda Fratres a lieu à Paris, au moment de l’Exposition universelle, du 7 au 12 août 1900. Participent 109 délégations représentants 91 universités de 18 pays. Sur 888 délégués, 224 sont français et 664 viennent d’autres pays : Allemagne, Angleterre, Belgique, Danemark, Espagne, Grèce, Hongrie, Italie, Pays-Bas, Suède, Suisse, etc. Interviennent également des étudiants de Russie et du Portugal. L’Allemagne est représentée par 25 délégués venus de 4 universités, l’Alsace par 9 délégués, l’Angleterre par 35 délégués de 5 universités, l’Italie par 45 délégués de 19 universités. Il y a des représentants de l’Australie, du Brésil, de l’Égypte, de l’Indochine… Seule exception : l’Autriche, se défiant d’une initiative déclarant placer les nationalités au cœur de l’Histoire.

Un problème franco-français surgit au début des travaux : des associations d’étudiants français de province n’ont pas été prévenues que ce congrès international d’étudiants était un congrès d’une Fédération internationale d’étudiants déjà constituée et nommée Corda Fratres.

Pour que tout le monde puisse participer, d’accord ou non avec le fait d’appartenir à la Corda Fratres, on décide que chaque matin jusqu’à 10 heures 30, quand on se réunira il s’agira d’un congrès de la Corda Fratres. Puis, avec l’ensemble des délégués confondus, d’un deuxième congrès : le congrès général des étudiants. Beaucoup de délégués au premier congrès choisissent de ne pas participer au deuxième.

La Corda Fratres se heurte à la question des nationalités non indépendantes et ne sachant y répondre va l’éluder : postes honorifiques de vice-présidents du congrès offerts pour calmer les revendications de certains, proposition de créer une section des peuples déshérités et opprimés, solutions remises à plus tard. La seule réponse efficace et valable proposée : celle de rassembler les étudiants en tant que délégués d’universités pris par ordre alphabétique de villes en ignorant les frontières étatiques n’est pas retenue.

Une vive polémique se déroule également lors du congrès entre étudiants juifs sionistes et étudiants juifs hostiles au sionisme au sujet de la représentation des juifs au sein de la Corda Fratres en tant que nation ou non.

Sous l’impulsion de Jean Réveillaud, président de l’Association générale des étudiants de Paris, quatre nouvelles sections sont intégrées à la Corda Fratres : Bohème, Finlande, Pologne et une section juive parisienne. Cette dernière, dirigée par Léon Fildermann n’a d’abord pas de nom. Elle sera par la suite appelée « Section spéciale », puis plus tard « Section sioniste ».

Le congrès vote par acclamations un vœu concernant les consulats dont voici le texte :

« Les consulats doivent faire tout leur possible pour favoriser l’instruction populaire en invitant les étudiants à tenir des conférences populaires sur n’importe quel sujet, exception faite des questions politiques et religieuses. »
« Les consulats sont les bureaux que la fédération internationale va organiser dans les principales villes universitaires d’Europe. Ainsi, les membres de la fédération, comme jadis les membres des anciennes corporations faisaient leur « tour de France », pourront faire leur « tour d’Europe » en rencontrant partout, chez leurs camarades confédérés, aide et assistance. »

Le quotidien La Presse du 11 août 1900, rapporte qu’au congrès a lieu une discussion des plus bruyantes « sur la situation des étudiants juifs dans la fédération internationale. Les Roumains se refusaient à les admettre dans leur section et M. Giglio-Tos, le président de la Corda fratres, dans un esprit de conciliation, proposait, avec le Conseil fédéral, de créer une section spéciale, ayant, comme les autres, un vice-président et qui engloberait tous les étudiants de nationalité contestée. »

Cette proposition amène l’adoption d’une résolution :

Le conseil fédéral, à la suite des discussions qui ont surgi dans les séances du Congrès de Paris sur les questions de nationalités et de religions, malgré les articles fondamentaux de la Fédération, et considérant qu’il y a des étudiants qui ne. jouissent pas, dans certains pays, des droits de citoyen, décide de former une section spéciale pour les étudiants qui se trouvent dans cette situation, la Fédération devant pouvoir admettre tous les individus inscrits dans une Université, sans exception.

Dans les mois qui suivent Efisio Giglio-Tos se consacre à la création ou au développement de nouvelles sections nationales et à la naissance des consulats de la Corda Fratres : sections polonaise, portugaise, suisse ; consulats à New York, au Danemark, en Australie, Finlande, Hongrie, Roumanie… Chaque consulat de la Corda Fratres a pour responsable un consul. Par exemple, le consul de la Corda Fratres à Rome en 1900 est Giovanni Persico.

En mai 1902, La Revue hebdomadaire, le citant, écrit à propos de la Corda Fratres :

Elle est actuellement divisée en vingt-trois sections, dont cinq pour l’Amérique et une pour l’Océanie. Les sections les plus développées sont celles de Hongrie, de Roumanie et d’Italie. Le troisième Congrès aura lieu au mois de septembre prochain.

Les relations entre la Corda Fratres et les autorités officielles italiennes sont à l’époque excellentes. L’ouverture du premier congrès de la section italienne de la Corda Fratres, tenu à Rome du 2 au 6 avril 1902, est faite par le Ministre de l’Instruction Publique Nunzio Nasi.

Après Turin-Rome 1898 et Paris 1900, Budapest est la ville choisie pour le troisième congrès de la Fédération prévu fin septembre 1902. Il est ajourné par la Fédération au dernier moment, des groupes participants se proposant de l’utiliser comme un forum politique. Début octobre 1902, environ 300 délégués tiennent à Venise une rencontre internationale, congrès substitutif au congrès manqué à Budapest.

Le troisième congrès a finalement lieu seulement trois ans plus tard, en 1905, à Liège en Belgique.

Le 12 mars 1903, aux États-Unis, à l(Université du Wisconsin à Madison, est fondé l’International Club du Wisconsin. Il sera à l’origine des Cosmopolitan Clubs. Associations qui formeront la branche américaine de la Corda Fratres.

La même année 1903, au congrès de la Corda Fratres de Palerme participe Milan Rastislav Stefanik, qui sera par la suite un des fondateurs de la Tchécoslovaquie.

En 1904, les Cosmopolitans Clubs commencent à se développer dans les universités des États-Unis. Leur devise est : Au-dessus de toutes les nations est l’Humanité. Leur but proclamé est de favoriser la compréhension et la fraternité entre les étudiants étrangers et américains, afin de promouvoir la coopération internationale et la paix mondiale.

En 1909, la Corda Fratres appelle les étudiants à manifester leur indignation contre l’exécution par le pouvoir espagnol de Francisco Ferrer, célèbre pédagogue et militant libertaire, fondateur de l’Ecole Moderne de Barcelone.

Toujours en 1909, le Consulat de Rome de la Corda Fratres organise, sous le patronage de l’Institut nationale italien pour le développement de l’éducation physique, une marche étudiante Rome-Milan.

La Corda Fratres parisienne paraît très active. On lit dans le bulletin mensuel de la Fédération Espérantiste de la Région parisienne :

Section du Quartier latin
La Section a, en la personne de M. Voisin, son président, a adhéré à « Corda Fratres », association internationale d’étudiants. L’esperanto ayant sa place tout indiquée dans une telle institution, nous espérons que tous les samideanoj, étudiants, ou l’ayant été, auront à cœur de se rallier à nous pour mettre à profit cette occasion de propagande.
Nous prions instamment ceux de nos camarades qui seront convoqués aux réunions de « Corda Fratres », d’y assister. Les réunions ont lieu deux fois par mois, le mardi soir, au café Soufflot, boulevard Saint-Michel, dans la salle même où se réunissent les espérantistes le vendredi.

Au sixième Congrès de la Corda Fratres, tenu du 24 au 27 août 1909 à La Haye, participe pour la première fois une délégation des Cosmopolitan Clubs des États-Unis.

En 1910, lors de leur quatrième convention, les Cosmopolitan Clubs des États-Unis décident de rejoindre la Corda Fratres.

La même année, le Consulat de Rome de la Corda Fratres récolte des fonds pour venir en aide aux victimes des grandes inondations en France.

En 1911, le septième congrès de la Corda Fratres a lieu à Rome du 1er au 6 septembre, en coïncidence avec la célébration du cinquantième anniversaire de la naissance du Royaume d’Italie. Sont représentées des associations estudiantines de neuf pays : Allemagne, Argentine, Brésil, Chili, États-Unis, Hongrie, Italie, Malte et Pays-Bas.

Le sommet du développement de la Fédération est atteint à la veille de la Grande Guerrede 14-18. Le huitième congrès de la Corda Fratres a lieu pour la première fois aux États-Unis. Il est organisé à l’université Cornell d’Ithaca, New York, où se trouve un Cosmopolitan Club prospère. Le congrès est annoncé par un article du New York Times en novembre 1912. Le même journal, en septembre 1913, dans un article consacré au congrès, précise que les délégués venus de l’étranger aux États-Unis représentent 60 000 adhérents. Pour le milieu universitaire il s’agit d’un mouvement de masse, si l’on pense qu’en 1898, dans un appel aux étudiants Efisio Giglio-Tos estime le nombre total des étudiants de la planète à un peu moins d’un demi-million.

Au congrès les universités de trente nations sont représentées. Efisio Giglio Tos représente la section italienne. Les « cordafratrini » (membres de la Corda Fratres) participants sont accueillis le 11 septembre avec les plus grands encouragements par le Secrétaire d’État américain William Jennings Bryan, sont invités à un grand nombre de banquets donnés en hommage à l’amitié euro-américaine et reçoivent un message du président des États-Unis Woodrow Wilson.

Conséquences de la Grande Guerre de 14-18

Début août 1914, l’entrée en guerre de la France contre les Empires centraux met la Corda Fratres à rude épreuve. La francophilie de ses dirigeants italiens les conduit à perdre complètement de vue le principe fondamental de neutralité politique de l’organisation internationale, comme on s’en aperçoit en lisant le quotidien français Le Temps du 13 septembre 1914 :

Une démonstration de sympathie de la Fédération internationale des étudiants
La Fédération internationale des étudiants dite « Corda fratres », dont la présidence est à Turin vient d’adresser au ministre des affaires étrangères une lettre « protestant contre les horreurs de la guerre déchaînée par les Allemands », et assurant le gouvernement français de la vive sympathie que l’association « Corda fratres » éprouve pour « la vaillante jeunesse française ».

La Grande Guerre de 14-18 va interrompre les activités de la Fédération internationale des étudiants. Quand l’Italie rejoint le conflit le 23 mai 1915, les dirigeants italiens de la Corda Fratres oublient complètement leurs professions de foi pacifiques et saluent la guerre avec enthousiasme.

La paix revenue, la dérive politique de la Corda Fratres introduite par le conflit se poursuit et s’exprime dans ses rapports avec une Confédération internationale des étudiants fondée à Strasbourg en 1919 par des délégués des élèves des universités des pays alliés ennemis et vainqueurs des Empires centraux. Cette Confédération, par le choix de départ des pays concernés ainsi que par celui de la ville de Strasbourg fraichement reconquise par la France, affirme d’emblée une orientation totalement hostile aux Allemands et le restera. L’apolitisme de la Corda Fratres a vécu.

Vers la même époque, la Corda Fratres est présentée par certains comme se résumant à une « Union Nationale Italienne » des étudiants. Le caractère international de la Corda Fratres est volontairement oublié. C’est le cas, par exemple, en décembre 1923 dans Le Figaro, ou en mai 1924 dans les colonnes d’Alger-étudiant, Organe officiel de l’Association générale des étudiants d’Alger.

Le neuvième et dernier congrès de la Corda Fratres se tient en novembre 1924 en Italie, à Turin, Gênes, Rome et Naples, en présence du prince héritier d’Italie, âgé alors de vingt ans. Les problèmes internes de la Corda Fratres joints à des facteurs politiques extérieurs vont bientôt entraîner sa disparition.

Les profonds vices structurels

La croissance rapide et impressionnante de la Corda Fratres jusqu’à la Grande Guerre s’accompagne cependant de profonds vices structurels qui, le moment venu, seront un des facteurs principaux de sa disparition.

Les sociétés festives et carnavalesques existent depuis des siècles. Au nombre des plus dynamiques de celles-ci sont les sociétés festives et fraternelles d’étudiants. Elles sont aussi anciennes que les universités elles-mêmes. La Goliardia italienne se réclame de l’héritage des goliards apparus avec la première université d’Europe à Bologne en 1088. La participation organisée des echoliers et professeurs de l’Université de Paris à la fête de la Saint Nicolas est attestée dès 1276. Les sopistas, sociétés d’étudiants chantants et voyageurs qui prendront plus tard le nom de Tunas, surgissent pour la première fois à Salamanque au XIVème siècle, avant même que l’université de la ville soit créée.

La société festive et carnavalesque a entre autres caractéristiques de ne pas être structurée bureaucratiquement et respecter les opinions de ses membres. Elle n’est ni politique, ni religieuse, neutre dans ces domaines où se rencontre souvent intolérance et discordes, elle rassemble tous dans l’intérêt de la fête, sa préparation et sa réalisation. Elle vit par et pour la fête et la fraternité. Quand les étudiants s’organisent pour la fête, ils le font à l’échelle d’une école, une université, éventuellement une ville, si elle n’est pas grande. La structure qui lie la société festive est amicale et les anciens viennent y tenir leur rôle et sont les bienvenus. Au-delà de la ville, les étudiants festifs sauront se reconnaître comme appartenant à une branche d’études, carabins, par exemple, ou d’activité festive, fanfare des Beaux-Arts par exemple.

Marquant cette insularité qui fait de chaque ville universitaire une sorte d’état indépendant à l’image de l’Italie médiévale, les étudiants de la Goliardia italienne disent, quand ils vont dans une autre ville d’Italie rencontrer d’autres goliards, qu’ils vont « a l’estero », à l’étranger.

Chez les étudiants, espagnols, portugais, latino-américains, hollandais, les tunos ont comme activité fondamentale le chant choral accompagné d’instruments de musique, essentiellement guitares et bandurrias. Ils se rassemblent régulièrement pour des « certamenes », des concours.

En 1988, un congrès national de la Faluche est organisé à l’occasion du centenaire de sa naissance à Bologne. Ce rassemblement a lieu depuis chaque année. Il s’agit d’une grande fête fraternelle étudiante, pas d’un congrès bureaucratique traditionnel, avec délégations mandatées avec relevés minutieux de cotisations prélevées à l’échelle nationale, motions, luttes de fractions, élections, etc.

En 1898, Efisio Giglio-Tos respecte cet esprit souple et ouvert pour lancer la Corda Fratres. Le billet d’adhésion à la Fédération, qui s’adresse à des recteurs d’universités, directeurs ou présidents d’associations étudiantes, porte l’indication : « N.B. L’adhésion est morale. » Reproduisant la structure insulaire de la Goliardia, il donne pour structure de base à la Corda Fratres le consulat de ville. Cette greffe goliarde prend partout où il l’exporte. Les étudiants adoptent ce mode de fonctionnement pour leurs sections de la Corda Fratres… Mais à l’échelon de la structure nationale et internationale dont il ressent la nécessité c’est tout autre chose. Efisio Giglio-Tos se démarque complètement de la tradition festive et fraternelle étudiante. Il dote la Corda Fratres d’une très pesante structure administrative, pyramidale et centralisée, régie par un règlement ne comptant pas moins de 154 articles répartis en 27 chapitres et deux dispositions temporaires. S’y retrouvent, entre autres, congrès, direction élue, cotisations collectées à l’échelle du monde entier et jusqu’aux détails réglant la façon de porter les toasts durant les assemblées ! Cette extraordinaire complexité bureaucratique entraine déjà une énorme perte de temps rien que pour valider les délégués aux congrès. Elle amène également les dirigeants à se sentir responsables de phénomènes qu’ils sont incapables de contrôler. Car la Corda Fratres rassemble des groupes farouchement indépendants les uns des autres et qui le démontreront jusqu’à quitter la Corda Fratres quand ils ne la supporteront plus et en tous cas l’oublieront après sa disparition.

En janvier 1905, Léon Delamarche, président de l’Association générale des étudiants de Paris, critiquant le mode de fonctionnement de la Corda Fratres, écrit que pour réussir, elle aurait dû :

…pour cela, abandonner son ambition de centralisation excessive et de réglementation uniforme, répudier la complication inutile, et souvent gênante, de ses statuts. Il lui eût fallu également, afin d’éviter les querelles nationales, qui, se reproduisant à chaque congrès entre les étudiants des pays danubiens, y ont jusqu’ici empêché toute discussion pratique, adopter, au lieu du vote par États ou par nations, le vote par Universités. C’est cette organisation nouvelle que le président de l’Association de Paris, profitant de l’occasion d’une réunion franco-italienne, nombreuse et de la présence autour de lui de délégués de plusieurs associations provinciales d’étudiants préconisa au nom de ses collègues.

La Corda Fratres conserve du début jusqu’à sa fin, contradictoirement, une double identité goliarde (c’est-à-dire traditionnelle étudiante : festive et fraternelle) et administrative. Significatif est le fait qu’au congrès de Paris tenu en 1900, la priorité donnée aux fêtes et réceptions fait qu’on ne vote pas les statuts et règlement de la Fédération faute de temps à consacrer à cette activité.

Les tensions corporatistes

Un phénomène aggrave le caractère contraire aux traditions étudiantes dont souffre la Corda Fratres : le Conseil Fédéral Senior, Senatus Seniorum. Les anciens qui ont été étudiants et ne le sont plus sont les bienvenus dans les sociétés festives et fraternelles étudiantes traditionnelles. Ils sont invités. Autre chose est d’instituer une instance supérieure des anciens à de jeunes étudiants aimant leur liberté de mouvement et décision.

En 1905, une rivalité pour le pouvoir éclate au congrès de Liège entre Italiens et Français. Ces derniers exigent que le siège de la Corda Fratres soit à Paris et que l’Association générale des étudiants de Paris en soit le dirigeant. Ne réussissant pas leur coup d’état, les associations étudiantes de Paris et des provinces françaises se retirent.

En 1906, au congrès international des étudiants, tenu à Marseille, on voit les délégués parisiens et les délégués des autres universités françaises se brouiller.

La discorde vint du choix du mode de votation au sein d’une fédération nationale française que les délégués français souhaitent créer. Les étudiants de province préconisent le vote par centre universitaire et demandait que chaque université ait une seule voix. César Campinchi, délégué de Paris, proteste contre cette prétention, qui donne aux 14,000 étudiants parisiens une représentation identique à celle d’une petite ville de province. Odent, délégué des étudiants en pharmacie de Paris, proteste également. Puis, Campinchi et Odent déclarent, au nom des étudiants parisiens, se retirer du congrès. Ils quittent la salle au milieu d’une vive agitation.

Le lendemain, au congrès international de Marseille, les étudiants français s’opposent entre eux et remettent en question la Corda Fratres :

Le congrès international des étudiants tient une importante séance, pour examiner les possibilités de création d’une fédération internationale. Les délégués parisiens, revenus sur leur décision de la veille, sont présents. Provansal plaide la cause de la « Corda fratres », qui réalise déjà pratiquement l’internationalisme universitaire. Cependant Monig, de Bordeaux, fait observer que la « Corda fratres » ne groupe que des unités locales, alors que le congrès se propose d’abord de créer des fédérations nationales, qui, à leur tour, se fédéreront internationalement.
À quoi M. Provansal réplique que si la fédération nationale est possible en France, il n’en va pas de même à l’étranger, par suite des compétitions de races : « les Polonais, les Hongrois, les Tchèques, par exemple, dit-il, réclament leur autonomie ; il ne faut donc pas entraver l’essor du mouvement international et en respecter les modes divers. »
César Campinchi, , faisant allusion à la scission qui s’est produite la veille au sein de la délégation française, demande si, même en France, une fédération nationale est possible.
Mais elle existe déjà, répond Monig. Nous l’avons créée hier soir, et en avons adopté les statuts.
M. Campinchi n’en émet pas moins des doutes sur la valeur d’une association nationale dont les 14 000 étudiants parisiens seraient exclus. La discussion menaçant de prendre un tour agressif, le président s’empresse de clore le débat, qu’il renvoie à mardi.

De retour du congrès de Marseille, le responsable parisien César Campinchi appelle à une scission. Il explique au journal Le Petit Parisien que la nouvelle fédération internationale à naître sera brillante et représentative. Et l’oppose à la Corda Fratres qu’il déclare représenter juste en partie les Italiens et un peu les Hongrois. En passant, il critique indirectement sans le nommer le Conseil Fédéral Sénior de la Corda Fratres, déclarant qu’en Italie même, il y a « des associations d’étudiants prospères » qui combattent la Corda Fratres « lui reprochant à juste titre d’admettre dans son sein d’autres personnes que des étudiants. » La nouvelle fédération internationale annoncée exclura de ses rangs Italiens et Hongrois, aura obligatoirement son siège à Paris et sera dirigée par lui. De même que l’association nationale des étudiants de France, qui n’existe pas encore et dont il souhaite la naissance.

Finalement, c’est seulement l’année suivante, le 4 mai 1907, à Lille, que les Associations générales d’étudiants de Bordeaux, Dijon, Lille et Lyon rejetant les tutelles italienne comme parisienne créent effectivement une organisation indépendante nationale : l’Union nationale des associations générales d’étudiants de France-UNAGEF. Les cinq membres du Bureau national élu à cette occasion posent en faluche sur la photo officielle.

Début septembre 1907 le cinquième congrès de la Corda Fratres se tient à Bordeaux, ce qui laisse supposer que la rupture de la Corda Fratres avec les étudiants de France n’est pas complète. Il serait intéressant de savoir si les Français sont présents au sixième congrès de la Corda Fratres tenu à La Haye en 1909. Et dans ce cas quelle fut la forme prise par leur participation.

Vers ce moment-là apparaît en tous cas une tentative de coup de force de l’Association générale des étudiants de Paris pour s’emparer de la Corda Fratres. Se matérialise ainsi la scission préconisée par César Campinchi en 1906.

Une brochure parue à Paris prétend même qu’en 1910 le siège social de la Corda Fratres a été « définitivement fixé à Paris, dans l’Hôtel de l’Association générale des Étudiants de cette Université. M. Pierre Julien fut nommé président de la Fédération internationale ; MM. Aubry & Legrand, secrétaires généraux ; M. Fabien Soullard, trésorier général. »

Tous ces propos témoignent de la tentative de l’AGEP pour s’approprier la Corda Fratres. Tentative qui se prétend réussie et irrévocable.

Conséquence probable du conflit engendré par cette manœuvre d’accaparement, les étudiants français sont absents du septième congrès de la Corda Fratres tenu à Rome en 1911.

En 1913, le 8e congrès de la Corda Fratres a lieu à l’université Cornell à, New York.

Les tensions politiques

Une autre faiblesse fondamentale de la structure de la Corda Fratres est politique. Très attaché aux revendications nationales et aux revendications irrédentistes italiennes, Efisio Giglio-Tos, dans une fédération qu’il veut apolitique introduit contradictoirement les très politiques revendications nationales et irrédentistes. C’est ainsi que le premier congrès de la Corda Fratres vote une résolution en faveur du triomphe des aspirations nationales de tous les peuples. Efisio souhaite aussi que symboliquement la Section italienne soit représentée par un Triestin et la Section roumaine par un citoyen d’Oradea Mare. Trieste étant à l’époque une ville située hors d’Italie et revendiquée par les nationalistes irrédentistes italiens. Oradea Mare se trouvant en Transylvanie, région appartenant alors à la Hongrie et objet de revendications d’annexion par la Roumanie. Au deuxième congrès de la Corda Fratres tenu à Paris en 1900, Efisio fait reconnaître les sections nationales polonaise, tchèque et finlandaise. La Pologne et la Finlande faisant à l’époque partie de l’empire russe, et les Tchèques étant citoyens de l’empire austro-hongrois. Il fait également admettre une « Section spéciale » parisienne, dirigée par Léon Fildermann, qui se réclame du futur état juif à créer en Palestine et prendra par la suite le nom de « Section sioniste ».

Résultat de cette volonté d’Efisio Giglio-Tos d’intégrer les revendications nationales dans la structure même d’une organisation apolitique, chassée par la porte la politique revient en force par la fenêtre.

Faire ensemble la fête dans une école, une ville, est possible entre étudiants d’opinions contradictoires… Par contre, se rassembler pour la même fête à l’appel d’une organisation prenant position pour des revendications nationales qu’on ne partage pas, n’est plus du tout la même chose. De ce fait les étudiants autrichiens refuseront dès le début de la Corda Fratres d’adhérer à une fédération qui contradictoirement à son apolitisme proclamé prône de fait l’éclatement de l’Autriche-Hongrie. Ce sont ces tensions qui amènent la Corda Fratres à ajourner au dernier moment son troisième congrès prévu à Budapest en 1902.

Ces difficultés d’ordre politiques paraissent aussi expliquer le temps très long mis ensuite pour parvenir à réunir le troisième congrès, qui n’a lieu finalement à Liège qu’en 1905, cinq ans après celui de 1900 à Paris.

L’erreur fondamentale politisant une structure qui se veut apolitique est aggravée par un but proclamé, apparemment rassembleur, évident et positif : la paix.

La Corda Fratres prétendra même au schéma suivant : parmi les étudiants d’aujourd’hui se trouvent les futures élites politiques de demain. Si nous sommes tous amis, nous proscriront définitivement la guerre. Cette affirmation qui résume la cause des conflits armés aux malentendus supposés entre individus gouvernants coutera également très cher à la Corda Fratres. Car ainsi la Grande Guerre devient aussi un échec, voire une faillite complète et absolue de la Corda Fratres.

L’influence maçonnique

Un élément indépendant de son fondateur contribue également indirectement le moment venu à la dislocation et disparition de la Corda Fratres : le large investissement de la Franc-maçonnerie italienne dans la Fédération. L’intervention maçonnique dans la Corda Fratres se fait dans le plus grand secret, peut-être pour éviter justement de faire du tort à son développement en lui donnant une réputation maçonnique injustifiée. Conséquence de cette participation, quand le régime fasciste interdit et pourchasse le Grand Orient d’Italie, il a dans le collimateur nombre de militants et responsables de la Corda Fratres dûment identifiés comme Francs-maçons par la police italienne.

Le secret de l’importante présence Franc-maçonne dans la Corda Fratres mis au jour publiquement au moment des persécutions fascistes antimaçonniques contribue à faire naître la fable de la nature Franc-maçonne de la Corda Fratres. Son nom-même devient alors certainement un élément de plus allant dans ce sens. Les « Cœurs frères » évoquant les Francs-maçons qui se qualifient entre eux de « frères ». Efisio Giglio Tos qui n’est pas Franc-maçon n’a sûrement pas pensé à cela quand il a imaginé le nom de la Fédération.

La persécution fasciste

Dans les années 1920, le triomphe du fascisme en Italie s’accompagne de violences commises contre la Corda Fratres. Sa section de Naples sera ainsi détruite.

Le 23 mars 1924, un certain nombre de petits groupes politiques étudiants italiens fondent une organisation revendicative et antifasciste : l’Union Goliardique des Libertés. Ses membres prennent le contrôle de la Corda Fratres napolitaine. Dans le courant de l’année 1924, le Préfet de Naples envoie au ministère de l’Intérieur à Rome une communication urgente où il dit que l’organisation reconnue Corda Fratres s’est transformée en une section de l’Union Goliardique des Libertés et son président Eugenio Reale est notoirement antifasciste. Les autorités officielles n’auront pas à sévir. En janvier 1925, ce sont les squadristi, groupes de chocs fascistes, qui se chargeront de détruire le siège de la Corda Fratres à Naples. Celui de Rome, avec sa bibliothèque, subira le même sort en mai de la même année. Il faudra trois années en tout aux fascistes pour parvenir à anéantir la section italienne de la Corda Fratres, qui cessera d’exister en 1927.

Le régime fasciste qui détruit la Corda Fratres d’Italie, confisque ses biens, saccage ses locaux, cherche également à faire disparaître la Goliardia en s’emparant de son signe distinctif : la feluca, sorte de chapeau un peu genre Robin des Bois. Le Groupe universitaire fasciste, organisation étudiante fasciste officielle, prétend en faire son symbole et un élément de sa propagande. Sur les affiches et documents qu’il diffuse figurent des étudiants rassemblés par l’idéal fasciste et portant tous la feluca. Par ailleurs, ce chapeau est systématiquement distribué à tous les étudiants italiens, ce qui revient à lui nier sa signification d’appartenance à la Goliardia. D’autres mesures contre l’indépendance étudiante sont prises. Par exemple l’accès aux ateliers des académies des Beaux-Arts n’est plus autorisé en dehors des heures de cours des enseignants, eux-mêmes astreints à adhérer au Parti National Fasciste. Ainsi les étudiants ne risquent pas de pratiquer l’art et bavarder sans surveillance.

L’obligation pour avoir le droit de travailler et nourrir sa famille d’adhérer au PNF et porter son insigne fait que des professeurs le blagueront en disant que PNF signifie Per Necessità Famigliare (Par Nécessité Familiale).

Vers la même époque, au début des années 1920, André Honnorat et Émile Deutsch de la Meurthe reprennent à leur façon à Paris le projet idéal de la Corda Fratres. Pour bannir la guerre : faire naitre l’amitié entre les étudiants futurs élites des nations. Pour concrétiser ce projet ils créent la Cité internationale universitaire de Paris qui a vocation de voir se côtoyer les étudiants du monde entier afin d’assurer la paix future par l’amitié. Fait significatif, John Davison Rockefeller Junior qui a financé pour la Corda Fratres new yorkaise en 1924 la construction de la « Maison Internationale » de New York, financera la construction du bâtiment central de la Cité, qui portera le même nom. Pas plus que la Corda Fratres, la Cité Universitaire n’assurera la paix. Ses bâtiments seront réquisitionnés comme cantonnements par l’armée allemande durant l’Occupation. Aujourd’hui, avec ses trente hectares de superficie, la Cité Universitaire reste une institution universitaire renommée, combinant de grandes richesses architecturales avec un des plus importants jardins de Paris.

Durant la période du pouvoir fasciste, parmi les anciens membres actifs de la Corda Fratres disparaissent : l’écrivain et éditeur Angelo Fortunato Formiggini, ancien dirigeant de la section italienne, qui poussé à bout par les persécutions fascistes se suicide à Modène le 29 novembre 1938. Efisio Giglio-Tos, président-fondateur, mort à Turin à 71 ans le 6 janvier 1941, Giannantonio Manci, qui capturé par les nazis se suicide à Bolzano le 6 juillet 1944 pour éviter de parler sous la torture.

Après la chute du fascisme

En 1945, les organisations festives étudiantes comme la calotte et la penne belges, la faluche française ou la goliardia italienne reprennent leurs activités normales.

La Corda Fratres cherche à se réorganiser en Italie. La carte de membre de la Corda Fratres émise en Italie cette année-là est ornée d’un dessin symbolique accompagné du mot Ricostruire : « Reconstruire ». Cependant cette reconstruction n’arrive pas à se faire. Diverses raisons expliquent cet échec, entre autres la durée du régime fasciste : 23 ans, depuis 1922 jusqu’à 1945. À cette date, cela fait plus de dix ans qu’il n’y a plus un seul étudiant ancien de la Corda Fratres inscrit dans les universités d’Italie. Au IIe Congrès national universitaire d’Italie tenu à Turin du 28 avril au 4 mai 1947, un grand nombre de représentants d’universités déclarent n’en avoir jamais entendu parler.

La Corda Fratres italienne déjà affaiblie par le fascisme, qui lui a notamment confisqué ses biens matériels, souffre aussi du vice politique structurel que représente sa construction en section nationale. D’où à nouveau importante perte de temps passée en formalités bureaucratiques et administratives. Par exemple à l’occasion du Congrès national des consuls directeurs de la Corda Fratres, section italienne du 25 juillet 1947. De plus et surtout, la prétention à reconstruire une société festive et fraternelle étudiante dans un cadre national italien y introduit alors un gros problème centrifuge italo-italien : la vieille rivalité Nord-Sud. Car la Corda Fratres renaissante est plus forte au Sud, d’où hostilité du Nord. Giuseppe Ganino qui vient de passer la direction de la section italienne de la Corda Fratres au professeur Mario Covello écrit le 1er septembre 1947 qu’il faut faire comprendre à « la très noble Cité de Palerme que par sa position géographique elle ne peut être pratiquement le Siège Central de l’Association ». Des polémiques naissent entre Catane et Turin, Naples et Rome et même Palerme et Messine. L’Italie unifiée seulement depuis 1860 est propice à ce genre de rivalités.

Un élément qui n’a aussi certainement pas favorisé les tentatives de renaissance de la fédération internationale des étudiants concerne la Goliardia. Elle a été la base de la naissance de la Corda Fratres en 1898. Or, en 1945-1947 la Goliardia traverse une crise. Sous la pression politique qui suit la fin de la guerre, des tentatives internes sont faites pour transformer la libre et truculente nébuleuse apolitique et festive des ordres goliardiques en une organisation nationale centralisée des étudiants italiens. La Goliardia survivra à cette épreuve, mais on la voit mal se poser la question de la renaissance de la Corda Fratres à un moment où la continuité de son existence-même était discutée.

Après l’échec de la tentative de renaissance de la Corda Fratres qui se termine en 1948, il y eut encore un rendez-vous organisé en France vers 1964, où des étudiants de France et d’Italie se retrouvèrent en camping ensemble en France en plaçant leur rassemblement dans le cadre de la poursuite de la Corda Fratres.

Disparition ou dislocation de la Corda Fratres ?

Les faiblesses internes, la défection française initiée en 1907, les menées scissionnistes de l’Association générale des étudiants de Paris dans les années qui suivent, et la destruction de la Corda Fratres d’Italie seront les facteurs clés conduisant à la disparition de la Fédération. Cependant, des sociétés festives et fraternels auxquelles appartenaient ses membres existent toujours. Fait significatif, la Faluche et la Goliardia, nées à Bologne en 1888, dix ans avant la Corda Fratres, en dépit de toutes les difficultés qu’elles ont pu rencontrer dans leur histoire, existent toujours.

La branche américaine de la Corda Fratres, après la disparition de la Fédération, a continué son activité de manière indépendante durant des dizaines d’années et encore aujourd’hui dans certaines universités.

The Rotarian (Le Rotarien), publication officielle du Rotary International, écrit en février 1927 que les étudiants du monde sont très organisés. Au nombre de leurs organisations :

L’Association Corda Fratres, ou Cosmopolitan Clubs, est, peut-être, la meilleure de toutes. La Corda Fratres a été fondée à Rome en 1898, a grandi au Congrès de La Haye en 1909 quand elle a été rejointe par l’Association des Cosmopolitan Clubs, qui est née à l’Université du Wisconsin en 1903. Les Cosmopolitains, qui ont une quarantaine de chapitres sur les campus d’Amérique, ont pour devise : « Au-dessus de toutes les nations est l’humanité. » Ils sont des leaders de la pensée internationale et constituent un terrain fertile de recrutement pour les déjeuners du Rotary.
Un développement récent est le Cosmopolitan Club inter-universitaire de New York avec plus de mille membres actifs de 67 collèges et écoles professionnelles à Manhattan. Son siège est la « Maison Internationale » sur Riverside Drive en face de Grant’Tomb – un monde en miniature avec toutes les races, nationalités, religions vivant sous un même toit.
Le bâtiment, construit pour un coût de deux millions et demi de dollars, a été ouvert en 1924 – il a été offert par John D. Rockfeller Jr. Il y a des dortoirs pour 400 hommes et 125 femmes, et toutes les installations pour les activités sociales et sportives. L’inscription gravée sur son entrée principale – « La fraternité doit prévaloir » – témoigne de son programme de service international libre de tous préjugés éducatifs, religieux ou politiques.

L’histoire des Cosmopolitan Clubs de la Corda Fratres aux États-Unis reste à écrire. L’activité du Cosmopolitan Club de l’Université d’Indiana, par exemple, dure cinquante-quatre années, de 1916 à 1970. Il est fondé par douze étudiants de différents pays. Tout le long de son histoire, il s’applique à compter dans ses rangs une moitié d’étudiants des États-Unis, l’autre venant de l’étranger. De 1953 à 1970 il organise notamment chaque année à l’université un Dîner International très apprécié, associé à une semaine d’expositions et activités célébrant l’Organisation des Nations unies. En 1965, il compte 515 adhérents de 54 nationalités différentes.

L’existence du Cosmopolitan Club de l(Université Cornell est attestée au moins de 1906 à 1939. Le Cosmopolitan Club de l’Université de l’Iowa existe durant 88 années, de 1908 à 1996.

En 1931, à Denver, Clarence Holmes, s’inspirant des Cosmopolitan Clubs, crée un Cosmopolitan Club non universitaire. Sa devise, dérivée de celle des Cosmopolitan Clubs universitaires est : l’humanité est au-dessus de la nation, la race ou la croyance. Il va regrouper des militants antiségrégationnistes issus des communautés afro-américaine, juive, japonaise et anglo-saxonne.

Aux États-Unis, en 2006, en relations étroites ensemble fonctionnent trois Cosmopolitan Clubs, appelés également en abrégé Cosmo Clubs : ceux de l’université du Delaware à Newark, de l’université de l’Illinois à Urban-Champaign et de l’université du Colorado à Boulder. Le Cosmopolitan Club de l’Université du Delaware, né moins de quarante ans auparavant, est toujours actif en 2012 et dispose d’une page Facebook détaillée. Le Cosmopolitan Club de l’Universite d’Illinois existe toujours sous les auspices de l’YMCA locale d’Urbana. Celui de l’université du Colorado à Boulder est toujours en activités, ou tout au moins l’a été jusqu’à une date très récente.

Avec les moyens de communications de son époque, Efisio Giglio-Tos a rassemblé dans la Corda Fratres les éléments du puzzle mondial des associations festives et fraternelles étudiantes. Après la fin de la Corda Fratres les pièces du puzzle se sont retrouvées à nouveau éparpillées. Il existe par endroits des liens partiels. La Goliardia de Turin est par exemple en relations régulières avec une association étudiante belge. Les organisations goliardes d’Italie se rassemblent une fois par an. La Tuna de Porto Rico rend visite tous les ans aux Repúblicas (Républiques) étudiantes de Coïmbra. Le congrès annuel de la Faluche reçoit des invités belges, espagnols et italiens, ainsi que le banquet européen des traditions estudiantines de Strasbourg. Tous ces éléments témoignent que le besoin de se rassembler festivement et fraternellement par-delà la division entre branches d’études, universités, villes, pays existe toujours.

La redécouverte de la Corda Fratres

Après sa disparition ou dislocation s’abat un oubli complet sur la Fédération. Cet oubli est favorisé par la forte politisation du mouvement étudiant organisé qui touche de nombreux pays en 1968 et au début des années 1970. Pour les étudiants fortement politisés de l’époque, la neutralité, l’apolitisme, le rassemblement général corporatif joyeux, insouciant et festif sont antinomiques à leurs conceptions. Ils récusent ces valeurs qui ont caractérisé et fait l’originalité et la force de la Corda Fratres. En particulier dans les milieux étudiants d’extrême gauche les étudiants qui se déclarent « apolitiques » sont considérés comme des étudiants de droite déguisés. Les organisations festives étudiantes traditionnelles comme la Faluche ou la Goliardia acceptant dans leurs rangs des étudiants de toutes opinions sont stigmatisées comme « fascistes » par les étudiants d’extrême gauche. Apparaît alors en France la pratique du vol des faluches considérées comme « trophées » par certains adversaires du mouvement faluchard. Depuis cette époque, les faluchards ont pris l’habitude de relier leur faluche à un solide cordon fonctionnel et décoratif.

En Italie, la fable attribuant un caractère fasciste à la Goliardia, société festive et fraternelle fondée en 1888 et se réclamant d’une tradition antérieure de huit siècles à la naissance de Benito Mussolini, faillit avoir des conséquences tragiques. Au début des années 1970, menacées de mitraillages par les Brigades rouges, les fêtes goliardes se sont retrouvées obligées de solliciter et ont obtenu la protection de la présence de policiers en armes. Cette situation a été vécue comme un très grand traumatisme par les étudiants festifs italiens de l’époque.

Cependant, l’oubli complet de la Corda Fratres durant des dizaines d’années n’est pas une simple conséquence « mécanique » d’évènements et évolutions. Il est aussi organisé. Dans les années 1960, par exemple, la puissante Union internationale des étudiants-UIE fondée en 1946 se targue d’être la première organisation internationale étudiante née dans le monde, à la suite des manifestations étudiantes antinazies de Prague durant l’occupation allemande en 1939 et à la mort tragique de l’étudiant tchèque Jan Opletal. Cette filiation politique prestigieuse faisant fi de l’existence de la Corda Fratres, comme de la Confédération internationale des étudiants, qui ont précédé l’UIE.

Pour diverses raisons, le souvenir de la Fédération internationale fondée en 1898 dérange. Elle est rarement évoquée et son souvenir est déformé.

Ainsi, en 1998, Gaetano Quagliariello écrit, dans une étude scientifique parue dans la Revue d’histoire moderne et contemporaine, publiée par la Société d’histoire moderne et contemporaine :

En 1896, au Congrès catholique de Fiesole, on avait lancé les bases de la Federazione Universitaria Cattolica Italiana (FUCI) et deux ans plus tard un groupe d’étudiants de l’Association turinoise universitaire créait la Corda Fratres, une association étudiante maçonnique qui connut une rapide diffusion dans toute l’Italie et qui, selon les intentions des fondateurs, aurait dû devenir une fédération internationale des étudiants. (fin de citation)

La Corda Fratres est quelquefois qualifiée d’« organisation de jeunesse de la Franc-maçonnerie ». Ce qui est doublement absurde. La Franc-maçonnerie, organisation discrète mais pas secrète est suffisamment connue pour savoir qu’elle n’a jamais eu d’organisation de jeunesse et les buts de la Corda Fratres, s’ils ne sont pas contradictoires à ceux de la Franc-maçonnerie ne s’identifient pas à ceux-ci. Il y avait des adhérents Francs-maçons dans la Corda Fratres. Il y en a également dans d’autres organisations, le Rotary Club, par exemple, qu’on ne qualifie pas pour autant d’« organisation Franc-maçonne ». En fait, certains commentateurs hostiles à la franc-maçonnerie traitent systématiquement de « francs-maçonnes » toutes les organisations qu’ils critiquent et dont ils ont du mal à cerner les contours. Il s’agit d’une sorte d’anathème laïc qui sous-entend sans précisions particulières qu’on a affaire à quelque chose d’obscur, mystérieux, clandestin, inquiétant, malhonnête et dangereux. La Corda Fratres étant largement oubliée dans le reste du monde, l’abusive réputation franc-maçonne de la Fédération fondée en 1898 se rencontre aujourd’hui essentiellement en Italie. Elle est alimentée à l’occasion par des polémiques politiques concernant un cercle culturel de la ville de Barcellona Pozzo di Gotto, dans la province de Messine. Ce cercle, créé en 1944, porte le nom de Corda Fratres et se réclame d’une filiation morale avec la Corda Fratres d’Efisio Giglio-Tos.

Quand, en février 2011, la franc-maçonnerie italienne ayant retrouvé l’étendard de la Corda Fratres de Sienne le restaure et le confie solennellement à l’université de Sienne, elle souligne la convergence de vue entre elle et la Corda Fratres. En aucun cas elle revendique cette dernière comme une organisation franc-maçonne.

Aujourd’hui, la seule personne qui voit la Corda Fratres figurer de façon élogieuse dans sa biographie est l’ancien consul de la Corda Fratres à Malte Sir Arturo Mercieca, avocat, juge et nationaliste maltais, membre de la communauté italienne de Malte. L’éloge est même poussé au point qu’il est présenté abusivement comme ayant été le président de l’Association internationale des étudiants Corda Fratres.

Une raison possible de l’oubli volontaire de la Corda Fratres est de la considérer, comme les autres sociétés festives et fraternelles comme peu importantes, indéfinissables, immatures. En les opposant aux organisations politiques, syndicales, religieuses ou humanitaires « sérieuses », s’occupant d’« affaires sérieuses » et de ce fait dignes de considération. Le progrès et l’avenir des sociétés festives et fraternelles quand elles existent devant être leur disparition ou mutation en organisation politique, syndicale, religieuse ou humanitaire.

L’Union nationale des associations générales d’étudiants de France-UNAGEF, fondée en 1907 par des membres de la Faluche dissidents de la Corda Fratres, porte la marque de cette dernière. Les membres de la Faluche qui rejoignent la Corda Fratres avant 1907 adhèrent à une « Fédération internationale des étudiants » alors que n’existe pas encore une organisation nationale des étudiants de France. La filiation entre la Corda Fratres de 1898 et l’UNAGEF de 1907 est évidente. L’UNAGEF connait une histoire remplie de mutations. L’UNEF syndicat étudiant né en 1946 qui se proclame en 2007 centenaire et héritière de l’UNAGEF n’est plus l’organisation d’origine.

Qu’on pense, par exemple, qu’au siège de l’Association générale des étudiants de Paris-AGEP, rue des Écoles, il y avait jadis une salle d’armes pour pratiquer l’escrime.

Les mutations des organisations étudiantes, fruits d’évènements divers comme la guerre, l’Occupation et la Résistance, s’expliquent aussi par la volatilité du milieu étudiant. Au bout de dix ans, la totalité des étudiants est renouvelée. Il s’agit d’un milieu différent du précédent. On ne retrouve pas dans les organisations étudiantes le même phénomène que dans un parti politique, un syndicat, une église ou une organisation humanitaire où la carrière d’un leader peut durer quarante ans. Les anciens peuvent être invités dans les organisations étudiantes, ce ne sont pas eux les dirigeants.

L’existence des sociétés festives et carnavalesques ne s’oppose pas à celle d’églises, syndicats, partis politiques ou organisations humanitaires. La prétention à les opposer et vouloir ignorer, condamner ou éliminer les premières au nom de l’existence des secondes rejoint un autre propos. Celui qui affirme qu’il est indécent et scandaleux d’organiser une fête quant au même moment des gens souffrent. En 1919 une campagne d’affiches anonymes était faite à Dunkerque dénonçant la renaissance du Carnaval de la ville au nom du respect de la souffrance des familles endeuillées par la Grande Guerre de 14-18. Le Carnaval repris quand même. Renoncer à la fête n’a jamais empêché les guerres ou effacé les deuils. Dans les années 1990, un prêtre de Venise répondait aux adversaires de la fête que faire Carnaval lui donnait des forces pour s’occuper des malheureux.

Les organisations festives et fraternelles participantes de l’histoire de la Corda Fratres subissent également un traitement particulier. Quantité de publications consacrées à la vie universitaire font comme si elles n’existaient pas. Certains dictionnaires espagnols contemporains donnent pour définition de la Tuna : « petit orchestre d’étudiants » et oublient complètement le caractère organisé et très ancien des Tunas. Un monumental ouvrage italien actuel sur l’histoire de l’université de Bologne expédie en une ligne et demie les fêtes historiques étudiantes pour le 800e anniversaire en 1888 et ne mentionne nulle part la Goliardia, qui apparait incidemment sur deux photos où on distingue des étudiants portant le chapeau goliard, sans précisions pour expliquer ce que c’est. La Faluche n’est pratiquement jamais évoquée dans la presse française, si ce n’est quelquefois de façon caricaturale et péjorative en soulignant l’appartenance à celle-ci à un moment-donné d’une personnalité politique controversée. Les sociétés festives et fraternelles étudiantes traditionnelles connaissent le sort général des sociétés festives et carnavalesques dont les médias ne parlent autant dire jamais. Combien connaissent les liesses gigantesques des Carnaval de Cologne ou Dunkerque et ont entendu parler des nombreuses sociétés festives et carnavalesques qui en assurent la réussite en les préparant toute l’année ?

Beaucoup de personnalités connues ont pourtant fait partie durant leur vie étudiante des Tunas, de la Faluche, la Goliardia, les Burschenschaften ou autres associations similaires. Mais rappeler quand on a un poste important, un rôle politique, que jadis on a passé plusieurs années à faire la fête, chanter des chansons paillardes et faire des farces en compagnie d’autres que leur chemin a conduit, par exemple, à l’autre bout de l’échiquier politique, ne serait pas forcément compris et approuvé par le public.

Les sociétés festives et fraternelles étudiantes se veulent aussi neutres politiquement que la Sécurité sociale, par exemple. Si un cotisant de droite ou de gauche est malade et remboursé de ses frais par la Sécurité sociale, il ne vient pas à l’idée de qualifier celle-ci d’organisme de droite ou de gauche. Admettre une telle réalité devient nettement plus difficile pour des personnes extérieures s’agissant d’organisations de jeunesse étudiante où l’on se retrouve, chante, boit, rit, fait la fête ensemble. Surtout quand on y relève la présence de personnes particulièrement controversées. Les organisations festives et fraternelles d’étudiants allemands en feront largement les frais, ayant conservé dans les rangs de leurs anciens des nazis avérés. De là à qualifier ces organisations de nazies, il n’y a qu’un pas. Un autre reproche fréquent fait aux organisations étudiantes allemandes concerne la tradition, qui n’est pas générale, du duel au sabre. Les participants recherchant des balafres au visage qui seraient sensées témoigner de leur « courage ». Cependant, résumer l’organisation traditionnelle étudiante allemande à cela ou encore aux dérives antisémites qu’ont connues ces associations est tout à fait réducteur. La réalité est souvent plus complexe. Ainsi par exemple, au début du vingtième siècle, cohabitent au sein de la Corda Fratres une importante section roumaine antimagyare et antisémite et une importante section hongroise ainsi qu’une section juive parisienne sioniste. Cette dernière ayant l’occasion en 1902 de polémiquer vivement au sein de la Corda Fratres avec l’Association générale des étudiants roumains au sujet de l’antisémitisme.

La redécouverte de la Corda Fratres s’est effectuée en deux étapes distinctes. Marco Albera, historien et collectionneur turinois, ancien de la Goliardia, s’est passionné durant des années pour l’histoire des fêtes et de la fraternité étudiantes. Ayant collecté une masse de documents notamment sur la Corda Fratres, il les a ensuite mis à la disposition d’un historien habitant la région de Turin, le professeur Aldo Alessandro Mola. Sans l’énorme travail préliminaire de Marco Albera celui-ci n’aurait rien pu écrire. Rédigé grâce à cette documentation, le premier ouvrage sur l’histoire de la Corda Fratres est paru en 1999, édité par le musée des étudiants de l’université de Bologne et préfacé par Fabio Roversi-Monaco, recteur de l’université de Bologne.

Vers une renaissance de la Corda Fratres ?

La place laissée par la Corda Fratres première organisation mondiale festive et fraternelle étudiante, première société festive et carnavalesque universelle est restée vide après sa disparition et son oubli.

En 2006-2007, un appel que je lance pour la renaissance de la Corda Fratres en lien avec la renaissance du Carnaval de Paris est entendu, en particulier par des Tunas. Plusieurs d’entre elles manifestent le désir de soutenir le projet de renaissance de la Corda Fratres en participant au Carnaval de Paris 2007. Mais les difficultés matérielles empêchent les participations projetées espagnoles, portugaises, chilienne et colombienne (Tuna de la Fondation Juan Nepomuceno Corpas de Bogota). Contactée en 2006, l’administration de l’université du Colorado à Boulder, se montre favorable au projet, à condition que des étudiants veuillent bien s’y impliquer.

Ce qui m »a frappé à l’époque, c’est l’intérêt suscité et le succès immédiat de l’idée de la Corda Fratres auprès d’étudiants d’aujourd’hui. La Corda Fratres a un avenir.

Je reste persuadé que si, par exemple, une grande université américaine se lançait sincèrement dans la renaissance de la Corda Fratres cela constituerait un événement culturel et humain de la toute première importance.

Ma conférence est terminée. Je vous remercie.

Basile Pachkoff,

Paris le 10 octobre 2019

Pour rédiger le texte de cette conférence j’ai très abondamment utilisé l’article Corda Fratres que j’ai créé en 2008 dans Wikipédia et dont je suis le principal contributeur.

Cet article est illustré et très abondamment sourcé.

Touchant à l’histoire de la Corda Fratres j’ai créé d’autres articles dans le Wikipédia français, notamment Goliardia, Tuna, Efiisio Giglio-Tos, Angelo Fortunato Formiggini et Hymne de la Corda Fratres. B.P.

 

Message de rentrée du Carnaval de Paris
29/09/2019

Chers amis du Carnaval de Paris et du Carnaval des Femmes !

Le 23 février 2020, dimanche avant Mardi Gras, nous défilerons depuis la place Gambetta jusqu’à la place de la République. Le thème du Carnaval de Paris 2020 est : « Un fabuleux monde aérien ».

Le 22 mars 2020, dimanche après le jeudi de la Mi-Carême, dans le quartier du Marais, nous défilerons en boucle depuis la place du Châtelet. Ce sera le Carnaval des Femmes. Son mot d’ordre habituel est : « Les femmes en reines, les hommes en femmes, s’ils osent ! »

Dans ces deux défilés libres, bénévoles, gratuits, apolitiques, autogérés et indépendants, on peut participer comme on veut costumé ou pas. Les groupes participants sont invités à se doter d’accompagnateurs qui veilleront en particulier à éviter qu’un écart trop grand se creuse entre leur groupe et celui qui précède ou qui suit.

Le Carnaval à Paris revient de loin. Il a disparu durant une cinquantaine d’années. Il est reparu en 1998 suite à de grands efforts. Vous pourrez lire à ce propos une conférence intitulée : « La renaissance du Carnaval de Paris ». Elle est en pièce jointe à ce mail.

Très festivement.

Basile

La renaissance du Carnaval de Paris

Une conférence donnée par Basile au Moulin à Café le 11 septembre 2019
12/09/2019

LA RENAISSANCE DU CARNAVAL DE PARIS

Conférence donnée par Basile au Moulin à Café le mercredi 11 septembre 2019

Bonjour. Je vous remercie d’être venu m’écouter. Je vais essayer d’être clair et compréhensible par tous. Si vous ne comprenez pas quelque chose, vous pourrez me demander un éclaircissement dans le débat qui va suivre ma conférence. Le sujet de ma conférence c’est « La renaissance du Carnaval de Paris ». Je vous donne tout d’abord le plan que je vais suivre.

Pour commencer je vais me présenter. Dire qui je suis et quel est mon lien avec le Carnaval de Paris.

Je vais parler de la renaissance du Carnaval de Paris. Et notamment de la vingt-deuxième édition du cortège de la Promenade du Bœuf Gras, qui a été un très grand succès le dimanche 3 mars 2019.

Puis j’aborderai des aspects philosophiques, théoriques et pratiques du Carnaval de Paris et de la fête vivante en général.

Enfin je reviendrai sur la théorie et la pratique du Carnaval en vue de l’action : que pouvons nous faire en nous amusant aujourd’hui pour augmenter la joie partagée et la convivialité ?

Dans le débat qui suivra je pourrai vous donner beaucoup d’autres éléments. Et notamment des informations sur le prestigieux passé du Carnaval de Paris et ses grands moments.

J’espère que vous prendrez du plaisir à m’écouter.

Donc, je vais pour commencer me présenter :

Je me suis toujours intéressé à l’Histoire, à ses aspects originaux, non conformistes. Dès les années 1980 je connaissais très vaguement le Carnaval de Paris.

En 1993, j’étais en recherche d’emploi. Fin septembre j’avais épuisé toutes les pistes exceptée la moins sérieuse : le Carnaval de Paris. Sans en faire un but commercial ou centralisé, j’avais l’idée que sa renaissance serait la source indirecte de la création d’emplois. Je commençais mes efforts dans ce sens. Ce fut le début d’une aventure qui dure depuis vingt-six ans.

À présent et depuis longtemps mon but initial a changé. J’œuvre à la renaissance du Carnaval de Paris par passion, amour du prochain et désir d’être utile au bien-être de la société.

Le Carnaval de Paris fut un des plus importants et beaux du monde et a prospéré durant cinq siècles à partir des années 1500. Il a succédé à la Fête des Fous qui prospérait elle au moins dès le onzième siècle dans tout Paris. Il y a donc une tradition de grande fête de Paris qui s’est poursuivie durant au moins un millier d’années. Paris qui est depuis au moins le douzième siècle une très grande ville.

Le Carnaval de Paris n’a jamais été rejeté par les Parisiens et n’a jamais été non plus calamiteux et violent. Il a au contraire toujours été très joyeux et pacifique. Ce qui lui a valu d’être aimé de l’immense masse des Parisiens. Et notamment de ceux qui y exerçaient et exercent encore les fonctions de police. Le Carnaval de Paris a contribué au prestige de Paris dans le monde.

Des années 1960 jusqu’à 1998 le Carnaval de Paris s’éclipse. La disparition progressive du tissu social festif des goguettes, petites sociétés chantantes, fait que le Carnaval de Paris recule à partir des années 1930. Ses grandes manifestations spectaculaires, bals masqués et défilés, vont disparaître. Un grand cortège défile encore le jeudi de la Mi-Carême 28 mars 1946. Le défilé carnavalesque traditionnel du Bœuf Gras sort à petite échelle dans le quartier de La Villette en 1951 et 1952. Cependant, en dépit de ce recul de la festivité parisienne, la fête reste vivante dans le cœur des Parisiens. Et le joyeux feu pacifique et convivial du Carnaval dort sous la cendre et ne demande qu’à être réveillé. Nous avons là le potentiel de ce qui sera demain très certainement une des plus belles, sinon la plus belle fête du monde. Le réveil du Carnaval de Paris commence en 1993. A l’époque ces mots « Carnaval de Paris » relèvent pratiquement de l’archéologie. Pour un Parisien, le mot « Carnaval » évoque alors plutôt Nice ou Rio. Dans les années 1950-1960 à Paris on parle plutôt du « Mardi Gras ». Ces mots figurent alors sur le calendrier des PTT distribué par les facteurs parisiens.

J’ai pris l’initiative de la renaissance du Carnaval de Paris fin septembre 1993. À l’époque j’ignorais parfaitement l’ampleur du défi. Je croyais que relever ce défi était une tâche aisée, facile, rapide. C’est seulement au bout de deux ans d’efforts très intenses que j’ai commencé à réaliser l’ampleur gigantesque, démesurée, de mon ambition. Mais j’avais déjà investi tant d’efforts dans cette œuvre que je ne me voyais pas y renoncer. N’étant pas passé par l’école, je n’ai pas cultivé l’art de la soumission et du renoncement face à « ceux qui dominent et qui savent ». Après l’été 1995, je me disais sur le ton de la blague, pensant à la renaissance du Carnaval de Paris : « à quoi bon faire grand quand on peut faire gigantesque ? »

Durant cinq ans mon projet a été bloqué du fait de sa nature. Je le portais moi, inconnu, sans argent, ni relations, ne cherchant pas à gagner de l’argent avec mon projet et souhaitant faire renaître rien moins que la principale fête de Paris. Face à moi le statut administratif d’exception de cette très grande ville. Ce statut indique que, hormis pour quelques très rares endroits, l’autorisation d’occupation de la voie publique à Paris, comme à Lyon et Marseille relève de l’autorité gouvernementale via une Préfecture de police et le Ministère de l’Intérieur. Le gouvernement se méfie de Paris, Lyon et Marseille et n’a jamais aimé le Carnaval. Le Maire de Paris a une influence sur le pouvoir du Préfet de police de Paris sur la voie publique parisienne. Mais il faut savoir que les politiques parisiens n’ont jamais aimé le Carnaval de Paris. C’est aussi une tradition. Elle dure depuis cinq cent ans.

J’étais donc dans la situation d’un moucheron cherchant à déranger un troupeau de brontosaures. Je ne devais pas leur paraître antipathique. Mon projet était bon enfant. Mais faire défiler dans Paris un cortège de Carnaval avec en tête une vraie vache vivante ! Mes courriers nombreux se traduisaient par des réponses aussi positives que fallacieuses : « on vous écrira », « votre projet sera étudié »… et, bien sûr, les félicitations d’usage qui ne coûtent rien, et sont rentables électoralement. J’ai cru à ces courriers faussement positifs. Ça a duré jusqu’à fin 1996. J’ai finalement compris que les officiels ne voulaient pas de mon projet. Projet auquel je croyais toujours. Je me disais en pensant aux officiels : « avec eux, sans eux ou contre eux le Carnaval de Paris renaîtra ».

La situation s’est débloqué en octobre 1997 quand j’ai rencontré Alain Riou. Alain Riou était Conseiller de Paris et Conseiller du vingtième arrondissement de Paris. Il souhaitait faire naître un Carnaval dans son quartier, c’était : « le Carnaval de Saint-Fargeau ». Je l’ai informé de l’existence passée du Carnaval de Paris et mes efforts pour le faire renaître. Nos deux projets ont fusionné.

Alain était têtu et aimait la fête. Il avait un ami, Jean-Yves Autexier, alors Conseiller spécial du ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement, c’est-à-dire son premier collaborateur pour toute la France et les Départements et Territoires d’Outre-mer. Jean-Yves Autexier a donné son appui au projet et la situation bloquée depuis des années s’est débloquée. L’autorisation de défiler est arrivée ! Le cortège du Carnaval de Paris Promenade du Bœuf Gras qui n’était plus sorti depuis le dimanche 20 avril 1952 a recommencé à défiler en 1998 . Il défile depuis chaque année. Sa vingt-deuxième édition à ce jour s’est déroulée le dimanche 3 mars 2019. Alain Riou étant malheureusement prématurément décédé en décembre 2004, c’est moi qui suis à présent responsable de l’événement.

L’édition 2019 du Carnaval de Paris a été un très grand succès. En dépit du temps glacial et exécrable qu’il a fait durant les jours précédents, nous étions six à sept mille à défiler. L’essentiel est que règne à cette occasion l’esprit de la fête joyeuse, conviviale, authentique et vivante.

Le but de la fête n’est pas d’être nombreux, riche ou célèbre, mais d’être heureux ensemble dans le cadre d’une belle tradition et d’une ville unique au monde : Paris. Et de ses quartiers populaires. Nous défilons à Belleville et Ménilmontant, partant de la place Gambetta pour aboutir place de la République. Les Champs-Élysées ne nous conviendraient pas du tout. La rue du Faubourg-du-Temple ou le boulevard de Belleville où nous passons nous conviennent infiniment mieux !

Le Carnaval de Paris est une fête libre, bénévole, gratuite, indépendante, apolitique et autogérée. Le placement est libre dans le cortège. Aucune inscription n’est nécessaire pour participer. On peut se décider au dernier moment de venir ou ne pas venir. On peut être à tous moments au choix spectateur ou acteur. On peut prendre le cortège en route ou se contenter d’y assister. On peut le quitter quand on veut, à la fin du parcours ou avant. Toutes ces libertés essentielles pour la réussite d’une fête vivante, d’un vrai carnaval, sont incompatibles avec le cadre d’un événement festif subventionné. Car dans celui-ci les créditeurs exigent et obtiennent un contrôle et un suivi précis de l’usage qui est fait de leur argent. La subvention devient alors un piège. En ôtant au Carnaval sa liberté, son arrivée signifie qu’il n’y a plus de Carnaval, qu’il n’y a plus rien du tout.

Le thème du Carnaval est un thème libre. On est libre de le suivre ou pas. D’être costumé ou pas. Tout est libre. Les groupes participants sont invités à se doter d’accompagnateurs qui veillent à la bonne marche de leur groupe, notamment à éviter que se creuse un écart trop grand entre leur groupe et celui qui précède ou qui suit. Le cortège est formé de groupes constitués auxquels se joignent des individuels ou des groupes plus petits comme des familles.

Des participants viennent de loin. En 2018 un car entier de Boliviens est venu de Barcelone pour défiler. L’année d’avant d’autres Boliviens sont venus d’Allemagne, Belgique et Italie, dont un car entier de Milan. Des Boliviens venus d’Italie en 2017 sont revenus en 2018. D’autres sont venus de Londres. Chaque année le cortège comprend une quantité de batucadas, ensembles de percussions de style brésilien. Certaines batucadas sont des habituées du Carnaval de Paris comme Batala, Batuka de Sciences Po Paris, Sambinho, Pernambucongo, Maracuja, etc. Le Carnaval de Paris connait une participation antillaise. Elle est enthousiaste et compte à présent plusieurs centaines de participants. Les latinos-américains sont nombreux et très dynamques. Des Équatoriens depuis 2017 rejoignent les Boliviens. Les Péruviens sont arrivés en 2019, ainsi qu’un groupe de belles Colombiennes. Deux géants sont des habitués du Carnaval de Paris : celui du Théâtre aux Mains Nues et celui de la Compagnie Carnavalesque Basque de Paris.

Je ne saurais mentionner tous les groupes participants. D’autant plus qu’aucune inscription n’ést nécessaire pour venir défiler. Comme je l’ai dit, ce n’est pas un spectacle de rues subventionné, c’est le vrai Carnaval. Je ne connais pas les noms de tous les groupes participants.

Cette fête très réussie est une démonstration de l’efficacité du mode de fonctionnement autogéré. Les familles sont autogérées, le Carnaval de Paris l’est aussi. Sa structure organisationnelle est horizontale et tout le monde est responsabilisé. Pourquoi par exemple faudrait-il indiquer à chaque groupe où il devrait se placer dans le cortège ? En 2018, le groupe de tête a changé quatre fois en cours de route, où est le problème ? Un groupe nous rejoignait et se mettait devant. Je me souviens il y a quatre ou cinq ans un brave accompagnateur qui vient me voir affolé : « il y a un groupe qui vient de se mettre devant ! » Je lui ai répondu : « et alors ? Si ça leur fait plaisir ! »

Moi de mon côté si je suis en tête du cortège c’est parce que la police qui nous accompagne souhaite pouvoir me trouver facilement si elle a besoin de me joindre. En quinze ans, depuis la mort d’Alain Riou, que la police veuille me joindre durant la fête n’est arrivé que quatre fois.

Le Carnaval de Paris se passe très bien chaque année. Tout le monde a le sourire. Les policiers qui nous accompagnent nous disent qu’ils ont l’impression d’être en vacances. Même qu’ils ont envie de danser. Ce qui ne les empêche pas d’assurer très bien leur tâche de sécurisation du cortège par rapport à la circulation automobile que notre défilé interrompt.

Le moteur de notre fête c’est le cœur, pas l’argent. Le but n’est pas le nombre mais la qualité. Il vaut mieux que nous soyons six ou sept mille souriants que six ou sept cent mille qui fassent la tête.

La qualité c’est aussi que la préparation soit agréable de même que la réalisation. La base de la fête c’est nous tous. Notre volonté de réussir la fête est collective. Juste avant le Carnaval on me dit : « tu dois être très occupé, avoir plein de réunions, de courriers ». Ce ne sont pas forcément les mots employés, mais le sens y est. En fait il n’y a presque pas de courriers, et c’est très bien ainsi.

Et des réunions pour quoi faire ? Il y a des années je croyais utile d’en tenir une par mois pour préparer le Carnaval de Paris. Je me souviens de la délégation de la fanfare des étudiants de l’École Polytechnique, les Platypus Braxx Band. Cette délégation est venue deux fois. C’était sympa de la voir. Ses membres m’ont dit : « on a déjà peu de temps pour répéter notre musique. Pour nous c’est difficile de venir. On n’a pas trop de temps. » À quoi servaient ces réunions ? À rien finalement. Pour se retrouver au Carnaval de Paris elles n’ont aucune utilité. Bien sûr, si on rêve de pouvoir et de gloire, en organisant une fête on a besoin de telles réunions. Mais la fête, elle, n’en a pas besoin.

C’est pareil pour le placement des groupes dans le cortège. Il n’y a pas besoin d’en imaginer un. Ce qui est d’autant plus difficile à faire qu’on ne sait pas jusqu’au jour de la fête qui vient ou ne vient pas.
L’essentiel est qu’il y ait le jour venu au moins deux groupes prêts à défiler. Avec deux groupes on peut faire un cortège.

Il arrive que l’on me demande de venir me voir « dans mes bureaux ». Il n’y en a pas. Pourquoi aurions-nous besoin de bureaux ? Pour une fête autogérée telle que la nôtre ce genre de choses, très coûteuses à Paris, ne servirait à rien. Bien sûr, ma notoriété dans le Carnaval de Paris est d’autant plus réduite. Mais mon but n’est pas de me faire admirer. Mon but c’est que la fête réussisse et que tout le monde s’amuse. Quitte à ce qu’on ignore y compris mon existence et mon œuvre.

On parle beaucoup en France du célèbre Carnaval de Rio. C’est un spectacle magnifique. Mais sait-on qu’il se déroule dans une sorte de stade en béton baptisé sambodrome, où le public est confiné dans des gradins ? Et pour y accéder il faut payer, et très cher, pour assister durant les trois premiers jours au défilé des écoles de samba les plus prestigieuses. Résultat : le spectacle est alors plus accessible au touriste étranger qu’au Brésilien passionné de carnaval mais fauché. Cette organisation ne me plaît pas. Je préfère la joie partagée gratuitement entre le public de la rue et une batucada qui défile rue du Faubourg-du-Temple. C’est moins grandiose que Rio mais c’est la vraie fête vivante, désintéréssée, le vrai Carnaval.

Quand on parle de fête, il est courant qu’on vous dise : « il faut demander une subvention. » Comme on l’a vu, sa venue tuerait notre fête. On sait aussi que la manne céleste de la subvention, quand on la demande, peut ne pas arriver. Ensuite que si elle arrive elle est souvent riquiqui et surtout qu’en échange vous renoncez à votre liberté. Et le jour où la subvention disparaît, tout disparaît avec. Quantité de fêtes et festivals qui comptait sur la subvention pour exister ont disparu en France ces dernières années. Comme par exemple le Carnaval de Cherbourg ou de Carcassonne, ou le Festival de Musique classique de Strasbourg. Le Carnaval de Paris se porte très bien. Il ne reçoit pas et ne demande pas un centime de subvention. Des donateurs apportent un soutien financier depuis 2017 à l’association « Droit à la Culture », 415 euros pour 2017, 565 pour 2018 et 445 pour 2019. Mais cette association, fondée par Alain Riou en 1997, et que je préside depuis 2004, avec un intermède de 2010 à 2013 où elle a été présidée par Alexandra Bristiel, n’engrange rien de plus comme financement. Ce n’est pas beaucoup pour faire défiler plus de cinq mille personnes en 2017, cinq mille personnes en 2018 et six à sept mille personnes en 2019 !

La base du Carnaval vivant c’est qu’il est organisé. C’est la rencontre du cœur et de l’organisation. C’est la rencontre de la vapeur de la joie collective avec la chaudière de la locomotive de l’organisation pour tirer le train du carnaval. Présentement la base organisée du Carnaval de Paris est faite de la convergence d’associations qui viennent défiler ensemble le jour de la fête. La base traditionnelle du Carnaval et de la fête vivante en général, ce sont des sociétés festives, dont le but est la fête. En France, c’était les goguettes, du temps où le Carnaval prospérait partout, dans les villes, villages et hameaux.

Les goguettes s’appelaient ainsi ou autrement. Il y en avait des dizaines de milliers. C’était des petites sociétés chantantes. Leur but était de se réunir chaque dimanche pour passer un moment agréable ensemble, chanter, créer des chansons. Quand le Carnaval arrivait, ces petites sociétés le rejoignaient. Elles assuraient ainsi sa prospérité et son authenticité à Paris comme ailleurs.

Les goguettes ont pratiquement toutes disparues du fait de l’ambition de grandir. À l’origine elles faisaient toutes moins de vingt membres. Jusqu’en 1835 c’était interdit d’aller au delà. Puis ça était autorisé. Résultat les goguettes ont voulut faire grandes, riches, avoir un théâtre privé, un piano. La politique et les ambitions s’en sont mêlées. Et aujourd’hui il n’y a autant dire plus rien.

Seule exception : Dunkerque et les villes avoisinantes où le Carnaval est énorme et magnifique. Les sociétés festives sont toujours là par dizaines et assurent la réussite du Carnaval. On les appelle « sociétés philanthropiques et carnavalesques ». Il y en a d’autres qui ne portent pas de noms et se rassemblent juste à l’occasion du Carnaval. Qu’est-ce qui a assuré la pérennisation des sociétés festives de Dunkerque et des villes alentour ? À par quelques-unes qui regroupent une cinquantaine de membres elles font toutes douze membres. Elles ont conservé pour modèle celui des équipages des navires morutiers dunkerquois qui partaient chaque année à la pêche au large de l’Islande et de Terre Neuve. Le Carnaval de Dunkerque a d’abord été un carnaval de marins. Aujourd’hui, j’ai pu le constater, pour un Dunkerquois qu’une société de carnaval soit forcément petite paraît évident.

La clé de la renaissance de la fête vivante partout en France et ailleurs est là : c’est « la règle des dix-neuf ». Il nous faut partout de petites sociétés chantantes de moins de vingt membres. Ce n’est pas difficile à créer. Ça ne coûte pas d’argent. Ça assure la joie partagée toute l’année. Et le jour du Carnaval ou d’une autre grande ou petite fête locale ça assure son succès.

J’ai recréé deux goguettes à Paris où jadis il y en avait des centaines. Il s’agit de la « Goguette des Machins Chouettes » et de la « Goguette des Enfants de Priape ». Cette dernière est aujourd’hui en sommeil. Une amie a créé une goguette à Saint-Ouen. Je parle autour de moi et à vous aujourd’hui de la renaissance des goguettes. Imaginons que demain, dans une ville petite ou grande, naissent quatorze goguettes de dix habitués. Au total nous avons cent-quarante joyeux festifs rassemblés. À l’occasion d’une fête ils font venir des amis, des proches : les voilà trois cents. Il y a là largement de quoi assurer la réussite, par exemple, d’un bal ou d’un défilé de Carnaval. Sans se donner de peine ni spécialement dépenser de l’argent. Il faut le dire et le répéter : la renaissance des goguettes c’est l’avenir du Carnaval et de la fête vivante en général. Ces goguettes pourront se doter de bigophones, instrument carnavalesque bon marché, très bruyant et au jeu à la portée de tous sans connaître le solfège.

Au plan mondial, je souhaite la mondialisation de la teuf. Par la mise en réseau des sociétés festives pour assurer des voyages et échanges festifs, à l’image des Boliviens venus de Barcelone au Carnaval de Paris de l’an dernier. Mais surtout à l’image de la Corda Fratres, fédération internationale étudiante, fraternelle et festive, ni politique, ni religieuse, qui prospéra depuis 1898 jusqu’à 1914. Je ferai ici-même une conférence sur la Corda Fratres le jeudi dix octobre prochain. La Corda Fratres regroupait des dizaines de milliers d’adhérents sur les cinq continents. Elle manque aujourd’hui. Elle pourrait renaître demain.

Tout cela et bien d’autres initiatives festives sont possible. L’essentiel est d’avoir la bonne orientation. Avec une bonne orientation et vingt-six ans d’efforts je fais sortir dans la rue et défiler au Carnaval de Paris six à sept mille personnes. En prenant moins de temps il est possible d’arriver à quantité de très beaux et très joyeux moments festifs. Le but est de s’amuser. C’est le but le plus beau et le plus noble qui soit. Comme le disait jadis un journaliste à propos du Carnaval de Paris : « Amusons-nous et remettons à demain les affaires sérieuses ! » J’ajoute que s’amuser, mais il n’y a pas plus sérieux comme activité !

À présent mon exposé est terminé. Je vous remercie pour votre attention.

Basile Pachkoff

Paris le 11 septembre 2019

Texte téléchargeable de la conférence du 11 septembre 2019

Tous au Moulin à Café ! Pourquoi ?
18/07/2019

Le Moulin à Café est un charmant café associatif situé à l’angle du 8 rue Sainte-Léonie et de la place de la Garenne, dans le quatorzième arrondissement de Paris, métro Pernety.

Un café associatif est un lieu créé pour favoriser le lien social. Voir à ce propos l’article Café associatif que j’ai créé dans Wikipédia.

Dans les mois qui viennent, j’aurai l’occasion de prendre la parole à trois reprises au Moulin à Café :

Le mercredi 11 septembre 2019 à 20 heures 30, je ferai une conférence sur la renaissance du Carnaval de Paris, dont j’ai pris l’initiative en 1993.

Le jeudi 10 octobre 2019 à 20 heures 30, je ferai une conférence sur la Corda Fratres, première fédération internationale des étudiants. Ni politique, ni religieuse, fraternelle et festive, elle prospéra de 1898 à 1914. Je pense être en France le seul spécialiste de l’histoire de la Corda Fratres.

Et enfin, le jeudi 7 novembre 2019 à 20 heures 30, je ferai une lecture publique d’un choix de mes poèmes.

A tous je souhaite un très bel été, et bon courage pour la canicule !

Basile

La fanfare de Carnaval les Rote Funken à Paris en 2020 ?
27/05/2019

À la fête costumée du IVème Charivari, qui a eu lieu à Paris le 19 mai, a participé la fanfare de Carnaval de Cologne les Rote Funken.

J’aimerais la voir défiler au 12ème Carnaval des Femmes le 22 mars 2020. C’est une fête libre, bénévole, gratuite, indépendante et autogérée. Les participants s’organisent pour assurer leur participation. Il n’y a pas d’inscriptions à prendre. Le placement est libre dans le cortège.

Le Carnaval des Femmes est une vieille tradition parisienne. Voir l’article de Wikipédia à ce sujet : Mi-Carême au Carnaval de Paris

                                                                                                              Basile